Question difficile ? La réponse est souvent dans les données.
« Quand une navigatrice gagnera-t-elle le Vendée Globe ? »
Comme souvent pour les questions difficiles, la réponse se trouve dans les données : une navigatrice gagnera le Vendée Globe quand il y aura autant de femmes que d’hommes sur la ligne de départ.
Téléchargez l’étude détaillée : Femmes au VG – Stanso – D.Perrot
L’histoire du Vendée Globe compte 10 éditions, cumulant 217 participations de navigateurs et 21 de navigatrices, soit un ratio de 10 pour 1 en faveur des hommes. Les deux premiers VG (1989 et 1992) ainsi que le huitième (2016) ont été exclusivement masculins.
7 éditions sur les 10 sont donc effectivement mixtes : 1996, 2000, 2004, 2008, 2012, 2020 et 2024. L’analyse des données du VG est menée ici sur ces 7 éditions mixtes, soit 21 participations féminines et 161 masculines (sources des données en note 1).
En utilisant les règles de comptage des points dans les courses à la voile, lors des 7 éditions mixtes le groupe des navigatrices obtient 4 fois sur 7 une meilleure moyenne que celui de leurs homologues masculins, en 1996, 2000, 2008 et 2024 (méthode en note 2).
Plus l’édition est difficile, plus les femmes sont performantes : elles obtiennent une meilleure moyenne dans les deux éditions avec les plus grandes proportions d’abandons (plus de 60% d’abandon en 2000 et 2008).
Les femmes arrivent plus fréquemment que les hommes au bout cette épreuve d’endurance unique : sur les 7 éditions mixtes, 71% des navigatrices terminent le VG, contre 61% des navigateurs.
Les retombées media, la présence dans les réseaux sociaux et les bénéfices en termes d’image constituent le retour sur investissements (ROI) et motivent de telles dépenses. Or, les parts de voix des aventures féminines dans le VG sont excellentes, voir exceptionnelles, en France comme à l’étranger. Mi-janvier 2025, le plus jeune marin de l’histoire du VG, Violette Dorange (23 ans), réunit déjà 1.150.000 followers sur les trois principaux réseaux sociaux, 20 fois plus que Charlie Dalin pourtant vainqueur de l’épreuve (60.000), et 9 fois plus que Guirec Soudé (130.000), le meilleur homme dans ce domaine.
Performantes et solides sur l’eau, championnes des retombées et de l’image, les filles ont-elles pour autant les mêmes armes que les garçons ? A ce jour, la réponse est non.
Les projets masculins restent beaucoup plus financés et beaucoup mieux préparés. 21 bateaux neufs ont été construits pour les deux dernières éditions (entre 5 et 7 millions d’euros pièce), avec un gain en vitesse moyenne de 2 nœuds à chaque génération (+ 10 à 15% de vitesse moyenne) : 8 bateaux neufs millésime 2020 et 13 en 2024. Un homme sur trois sur la ligne de départ lors des deux dernières éditions part sur l’un de ces bateaux neufs (20 bateaux neufs pour 61 hommes) contre seulement une femme sur douze, soit un ratio de 4 pour 1.
Dans les années 2000, quelques femmes ont réussi à s’aligner sur le VG avec des bateaux neufs, avec d’excellents résultats : Ellen MacArthur 2ème en 2000, Dee Caffari 6ème en 2008. Suite à cette période prometteuse, les années 2010 sont décevantes en matière de mixité : une seule navigatrice présente en 2012 (Samantha Davis), aucune en 2016. En 2020, pour la première fois 6 femmes sont présentes sur la ligne de départ (18% des partants), mais sans chance de victoire ou de podium, car toutes engagées sur des bateaux qui en sont au minimum à leur 3ème VG. L’âge moyen des bateaux sur l’édition 2020 est de 8 ans pour les hommes contre 15 ans (le double) pour les femmes.
L’édition 2024 marque un début de rattrapage en matière d’équipement des femmes par rapport à la période 2010 – 2020.
Côté pile, l’âge moyen des bateaux se rapproche (8,9 ans pour les hommes versus 9,3 ans pour les femmes).
Côté face, un homme sur la ligne de départ en 2024 a deux fois plus de chances (35% versus 17%) qu’une femme d’avoir un bateau neuf. Pour avoir ce sésame indispensable à la victoire, mieux vaut être navigateur français (11 navigateurs français sur 24 sont en neuf, soit 44%). C’est plus difficile pour une navigatrice étrangère (1 sur 4, 25%), compliqué pour un navigateur étranger (1 sur 10, 10%) et impossible pour une navigatrice française (0 sur 2, 0%). Catherine Chabaud fut la dernière française à être en neuf au départ du VG 2000, il y a un quart de siècle. Résultat logique, aucune femme ni aucun étranger ne figure parmi les 7 premiers du VG 2024. Un tel palmarès franco-masculin n’est plus arrivé depuis la première édition du VG en 1990. Il questionne l’ambition internationale et mixte que revendique le VG. Dans l’hypothèse d’un équilibre hommes versus femmes et français versus étrangers sur la ligne de départ, aussi bien en effectifs qu’en armement, la probabilité du palmarès 2024 serait de 1 chance sur 16384.
Les difficultés demeurent réelles et nombreuses. On ne peut d’ailleurs qu’admirer le retour de Clarisse Crémer, lâchée par son sponsor (au demeurant principal partenaire de la voile française) pour cause de maternité et cible d’une cabale visant à la disqualifier.
Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant que les tops performeuses de l’histoire du VG soient en majorité de nationalités étrangères : 3 Britanniques et une Suissesse (sur 6 tops performeuses, voir note 3). A l’inverse, la liste des tops performeurs au masculin est 100% française.
Quel serait le niveau de performance des navigatrices à équipement égal sur le VG ?
Dès 2000, sur le bateau le plus compétitif jamais skippé par une navigatrice au VG, Ellen MacArthur (2ème en 94 jours) a apporté une première réponse en faisant jeu égal avec l’unique double vainqueur de l’épreuve.
En 2024, la seule femme équipée d’un bateau neuf boucle son tour du monde en 80 jours, chrono synonyme de haute performance. 8 des 12 hommes (67%) équipés en neuf réussissent à le faire.
Parmi les 27 autres marins (5 femmes et 22 hommes) engagés sur des bateaux anciens et moins rapides, 40% des femmes (2 sur 5) contre 9% des hommes (2 sur 22) réussissent cette performance des 80 jours (voir note 4).
En focalisant cette comparaison sur les 25 foilers engagés (les bateaux les plus rapides équipés de foils), la conclusion est la même. L’unique femme (100%) équipée d’un foiler neuf et 8 des 10 (80%) hommes équipés de même font 80 jours. 2 des 4 femmes (50%) équipées de foilers anciens le font, versus 2 des 8 hommes (25%) équipés de même.
Au global, 50% des femmes (3 sur 6) contre 30% des hommes (10 sur 34) font mieux ou aussi bien que Phileas Fogg.
En tenant compte du déficit de vitesse des bateaux anciens (2 nœuds qui représentent 10 jours supplémentaires sur le VG 2024), les 2 premières femmes équipées de bateaux anciens (Justine Mettraux en 76 jours et Clarisse Crémer en 77 jours) réalisent une performance équivalente ou supérieure à celles des 7 concurrents masculins qui les devancent sur bateaux neufs : équivalente aux 64 à 67 jours des 3 premiers et supérieure aux 74 à 75 jours des navigateurs arrivés de la 4ème à la 7ème place.
Elles sont plus rapides en 2024 que leurs deux prédécesseurs en 2020 sur ces deux mêmes bateaux (80 jours en 2020, voir nota 5). Parmi ces prédécesseurs, il y a le vainqueur 2024.
Seuls Armel Le Cléac’h et Alex Thomson sont allés plus vite qu’elles avec des bateaux d’avant 2020 (74 jours en 2016).
Justine Mettraux est une magnifique première au classement 2024 des femmes avec son nouveau record féminin en 76 jours. Surtout, elle est la 1ère au classement mixte des 27 bateaux anciens (22 hommes et 5 femmes) et la 1ère au classement mixte des 12 foilers anciens (8 hommes et 4 femmes).
La comparaison à équipement égal montre que les femmes sont au moins aussi performantes que les hommes.
Ces données révèlent toute la valeur et l’intérêt sportif qu’apporteraient des femmes aussi nombreuses et aussi bien équipées que les hommes sur la ligne de départ. Certains l’ont bien compris, comme le dirigeant Bertrand Quéguiner qui lance un ambitieux projet avec Elodie Bonnafous. Pour la première fois en 2028, il y aura au minimum une navigatrice française équipée d’un foiler neuf au départ du VG, 12 ans après l’arrivée de ces bateaux révolutionnaires sur le circuit.
Alors que nous sommes dans la quatrième décennie de cette épreuve, l’histoire des femmes au VG semble enfin accélérer. Les deux dernières éditions (2020 et 2024) rassemblent plus de la moitié des participations féminines (12 sur 21). Les résultats suivent. En 2020, le record féminin vieux de 20 ans (94 jours) est amélioré de 7 jours (87 jours). En 2024, elles sont 4 à faire moins de 87 jours et le record féminin progresse de 11 jours (76 jours). Vivement la suite…
Sponsors, à l’heure du bilan 2024 et des business plans pour les éditions 2028 et 2032, les données sont claires : si vous voulez écrire l’histoire du Vendée Globe et si vous recherchez la performance, la solidité et le retour sur investissement, choisissez des navigatrices !
Notes
Note 1 – Source des données : Vendée Globe, Wikipedia, France3
Vendée Globe
Vendée Globe — Wikipédia
Violette Dorange : Et si c’était elle, la vraie grande gagnante du Vendée Globe ?
Note 2 – Méthode et résultats
Calcul de points par groupes
Attribution de points similaire à celle des classements « Imoca » et aux nouvelles règles de sélection pour le VG 2028.
Les finisseurs obtiennent un nombre de points égal au nombre d’engagés moins leur classement plus un (40 engagés en 2024, donc 40 points pour le 1er, 39 points pour le 2ème…).
Les abandons et les hors courses donnent zéro point.
Pour chaque édition, le groupe gagnant (partants hommes ou femmes) est celui qui a la meilleure moyenne. Les navigatrices ont 4 fois sur 7 une meilleure moyenne.
En écartant les abandons plus fréquents chez les hommes et en limitant la comparaison aux seuls finisseurs (groupe des finisseurs hommes ou femmes), les navigatrices ont 3 fois sur 7 une meilleure moyenne.
En limitant la comparaison aux deux dernières éditions, les seules où le pourcentage de femmes dépasse 15% des participants (18% en 2020, 15% en 2024), c’est égalité un partout.
Note 3 – 6 top performeuses de l’histoire du Vendée Globe
1996, 2000 – Catherine Chabaud FR : 6ème en 1996 et première finisseuse de l’histoire de la course,
2000 – Ellen MacArthur GB : 2ème à 24 ans et à 24 heures du vainqueur avec un chrono qui demeure le record féminin de l’épreuve pendant 20 ans, meilleur classement féminin de l’histoire de la course,
2008, 2012, 2020, 2024 – Samantha Davis GB : 4ème en 2008, 13ème en 2024, 20% des participations féminines à elle seule,
2008 – Dee Caffari GB : 6ème,
2020, 2024 – Clarisse Crémer FR : 12ème en 2020, nouveau record féminin, 11ème en 2024, première femme à finir la course 2 fois de suite,
2024 – Justine Mettraux CH : 8ème, 1ère des 27 bateaux anciens, nouveau record féminin.
Note 4 – Moins de 80 jours sur bateaux anciens
Les quatre marins à avoir bouclé le dernier Vendée Globe en moins de 80 jours sur un vieux bateau sont deux navigatrices, Justine Mettraux CH (8ème) et Clarisse Crémer FR (11ème) et deux navigateurs, Sam Goodchild GB (9ème) et Benjamin Dutreux FR (10ème).
Note 5 – Comparaisons des meilleurs chronos sur bateaux identiques 2020 Vs 2024
« Teamwork – Team SNEF » de Justine Mettraux (76 jours en 2024) est l’ancien « Charal » de Jérémie Beyou (89 jours au classement 2020, et 80 jours réels à compter de son 2ème départ après réparation aux Sables d’Olonne).
« L’occitane en Provence » de Clarisse Crémer (77 jours en 2024) est l’ancien « Apivia » de Charlie Dalin (80 jours en 2020). Charlie Dalin est le vainqueur 2024.